JOKER TIRE LÀ OÙ ÇA FAIT MAL
Bientôt culte ?
Ça commence comme un
Orange Mécanique à l'envers. Puis se dévoile un anti-héros mentalement estropié, mi-dostoïevskien mi-houellebecquien, un "cas social" triste et malchanceux aux faux airs de
Louis-Ferdinand Céline. Armé d'un revolver par un collègue qui lui veut du bien, Arthur Fleck, le sage et éternel citoyen de Gotham City, devient, de fil en aiguille, ce
"mec qui pète un plomb après en avoir pris plein la ghueule".
Une intrigue pleine de potentiel, dans la lignée des célèbres déchéances cinématographiques, d'
Orange Mécanique à
Fight Club en passant par
Taxi Driver ou
Chute Libre, pas loin de la démence absurde, par delà bien et mal, engendrée par le béton glacial du
Buffet Froid de Blier, avec en prime de lointains échos psychiatriques du
Vol au-dessus d'un nid de coucous de Forman.
D'une manière de partir en vrille ...
... à une autre ...
Allégorique, actuel, pertinent, touchant, grinçant, Joker entrerait presque en résonance avec l'Occident amoral, sale et décadent.
Presque seulement, parce qu'à en attendre trop d'un scénario aussi prometteur, on reste en définitive un peu sur notre faim, comme à la sortie d'un bon plat manquant de deux ou trois ingrédients pour pouvoir s'avérer vraiment parfait.
Le fait qu'Arthur Fleck ne soit pas, à la base, un homme ordinaire, mais bien précisément extra-ordinaire, nuit un peu à la consistance du message porté à l'écran. Pourquoi se focaliser uniquement sur un pauvre type handicapé, alors que lui-même l'affirme, la folie est absolument partout dans ce monde "civilisé" !
La caméra se braque sur le clown infirme, mais ne fait que survoler les gens ordinaires qui le hisseront finalement en idole d'un mouvement social d'une ampleur stupéfiante, générant en bouquet final l'embrasement de Gotham City. Il y avait pourtant une sacrée belle ficelle à exploiter de ce côté-là, en liant destins individuels et destins collectifs, dans la représentation anachronique des cités à la dérive de l'Amérique de Trump.
Le destin des mégapoles : ghettos pour millionnaires dans une décharge peuplée de zombies.
Ajoutez à cela un drame familial dégoulinant de pathos, plus deux-trois réactions de personnages moyennement crédibles, et l'on ressort avec un goût d'inachevé et le sentiment qu'un chef-d’œuvre nous a échappé des mains. Peut-être parce que tout a été misé sur le jeu d'acteur de Joaquin Phoenix au détriment de l'écriture...
Pouvait mieux faire, donc, mais l'essentiel est là.
Nous sommes tous des clowns. Vous êtes tous méchants.Telle est l'inconciliable devise du
Joker de Todd Phillips.
MON VERDICT : 15/20Une bonne analyse plus approfondie (parmi d'autres) :