Extrait d'un article publié en 1993 dans l'humanité:
Le «supporter numéro un» de l'OL, René Orts, assiste à tous les matches de son club depuis plus de trente ans. Le football a donné un sens à la vie de cet homme de cinquante-quatre ans, véritable encyclopédie du ballon rondDe notre envoyé spécial.
à Lyon.
«POUR me rendre au stade, je prends le tramway, la ligne 3 ou 11, vers 17 h 30, puis je me dirige vers les vestiaires. Les joueurs arrivent vers 19 h 20, ensuite je vais sur le banc de touche. A Gerland, il y a onze marches à gravir, comme à Saint-Etienne.» René Orts, le «supporter numéro un» de l'Olympique Lyonnais, assiste, depuis bientôt trente-deux ans, à tous les matches de son équipe préférée. Ce samedi-là, il suit attentivement la partie, assis entre les dirigeants de l'Olympique Lyonnais, qui reçoit Nîmes. La formation de Bernard Lacombe est le seul club à bénéficier d'une dérogation particulière qui permet à un supporter de prendre place sur le terrain. René Orts encourage les joueurs, qu'il identifie souvent, et fait des commentaires pertinents. Pourtant il est non-voyant.
Victime
d'un accident
En 1962, René Orts, qui jouait au football depuis son enfance, ne manque aucune grande rencontre disputée au stade municipal d'Oran. Dans sa ville natale, Mostaganem, «le pays de Jean Fernandez», il est victime d'un accident, qui provoque un décollement de la rétine. Il est transporté à Paris, à l'hôpital des Quinze-Vingts (spécialisé dans les problèmes oculaires), avant de rejoindre le centre de rééducation Gallieni, à Villeurbanne (Rhône). «René la Canne», comme l'ont surnommé affectueusement les Lyonnais, a trouvé du travail dans un CAT. A l'époque, il n'a formulé qu'une seule exigence: «Je veux voir jouer au foot à Gerland.»
Au pied de son HLM, René Orts attend son visiteur qu'il identifie immédiatement: «Vous êtes venu à pied, j'ai su à votre pas que vous n'étiez pas d'ici.» Il aime bien son quartier de Villeurbanne, «les enfants qui jouent dans la cour mettent de la gaieté, mais l'hiver, c'est triste, après 18 h 30, plus un bruit, on se demande où on est». Dans son appartement, les coupures de presse et les photos le concernant attendent sur la table. Avec l'aide de sa compagne, il commente tous les clichés qu'il connaît par coeur. La vie de cet homme de cinquante-quatre ans, généreux et affable, est portée par sa passion du football. Avec malice, il aime poser des devinettes. Il s'agit, par exemple, d'identifier l'un de ses «trophées», un maillot jaune portant le numéro 5. «C'est Der Zakarian qui me l'a offert dans les vestiaires de l'OL, quand Nantes avait battu Bordeaux en coupe de France.»
Féru de statistiques, imbattable sur les scores, véritable encyclopédie du foot, il connaît le palmarès de «son» club mieux que quiconque: «Nos gars jouent bien, l'OL est une équipe de jeunes. Nous avons gagné la coupe en 64, 67 et 73, puis, l'année suivante, nous avons été battus en finale par Sochaux. On a fini deux fois troisièmes du championnat, en 73 et 74, perdu, en 76, en finale contre l'OM, par 2 à 0 mais, depuis, le club est un peu retombé. On devra se contenter de la 11e ou 12e place, la 10e dans le meilleur des cas. Lyon est un club tranquille, sans histoire.» Conduit sur le terrain par Raymond Domenech ou Bernard Lacombe, il demande de quel côté joue son équipe et suit le match.
«Ce sont surtout les coups de sifflet de l'arbitre qui m'indiquent le jeu, engagement, balle au centre... mais aussi l'ambiance, les réactions», ajoute-t-il, enthousiaste. «Parfois, je demande à un remplaçant le nom d'un joueur. Je sais s'il y a coup franc ou penalty. Si le ballon tape sur le poteau, je l'entends de ma place; s'il rentre dans la cage, je me fie au rumeurs du public; si le gardien l'arrête, je le sais et, quoi qu'il en soit, les clameurs des tribunes me le confirment. Sur une attaque, les bruits sont particuliers et, quelquefois, je devine le nom des joueurs.»
Aimé Jacquet, qui fut longtemps entraîneur de la formation lyonnaise, a toujours encouragé la présence de «René la Canne», qui masse lui-même les joueurs. «Mais attention, je ne suis pas kiné, on me laisse être aide-masseur, en quelque sorte», tient à préciser René en arborant une coupe: «Ce sont les juniors de Villeurbanne, que j'ai souvent massés, qui me l'ont offerte. L'entraîneur m'avait promis qu'en cas de victoire, il me ferait un cadeau. Avant et après un match de l'OL, je masse les joueurs, tels Laurent Delamontagne, un farceur, ou Gilles Rousset, c'est dommage qu'il quitte l'OL. Les joueurs me font souvent des blagues, l'un met un bracelet ou le retire, l'autre met sa montre à la main droite, mais je les reconnais. Bruno N'Gotti a beau transformer sa voix, ce n'est pas difficile d'identifier ce grand gaillard! Lorsqu'un joueur a fait une bêtise sur le terrain, il me dit «ce n'est pas moi», mais je connais la vérité.»