Pour qui, pourquoi travaillons-nous ?
Lois Macron, ubérisations, exaltation de la « valeur-travail », « France des assistés » contre « France qui se lève tôt », égalitarisme salarial contre discriminations... l’affligeante pauvreté du débat sur le travail, de la bouche des professionnels de la politique (tous partis confondus) ou des syndicalistes, occulte des questions de fond cruciales, dans une France qui se désindustrialise (mais c’est bien connu, les Français sont des feignasses, n’est-ce pas Mr Gattaz ?), et plus globalement dans un monde en passe de connaître des années de crise majeure. Quand on n’a que « croissance » et « progrès » comme conception du bien commun, il ne faut pas s’étonner de s’enfoncer dans des impasses. C’est pourquoi je recommande vivement ce recueil de 8 articles de Jacques Ellul, qui a le mérite de remettre les points sur les i et les barres sur les T.

L’auteur y démonte un lieu commun très en vogue aujourd’hui, reprise des Lumières : « le travail rend libre ». Or, traditionnellement, le travail est une contrainte, une corvée qu’on cherche à déléguer ; nombreuses sont les civilisations à avoir voué une certaine défiance envers ces tâches, pour un modèle de société plus sobre et moins gourmand en ressources naturelles. C’est à partir du 18ème siècle et l’émergence de l’idéologie bourgeoise que le travail est devenu vertu ; l’Église, par abdication, s’y est alignée, travestissant par là le message biblique ; suivie des marxistes, menant le prolétariat dans une impasse ; et enfin, de tout le logiciel moderne actuel, qu’il soit progressiste ou conservateur. Si la paresse est un vice, l’idéologie du travail, nouvel opium du peuple, induit une certaine répugnance envers le temps libre, tandis que les progrès techniques qu’elle permet conduisent fatalement à des réductions du temps de travail humain et à des mutations de celui-ci. Si le travail, conduisant à l’idolâtrie, est une aliénation, son automatisation mène au chômage qui l’est davantage.
Face à ces constats, le programme reste utopique : redéfinir le concept de salaire, « vers un travail ayant une productivité faible et une consommation de main d'œuvre forte », « une frugalité assumée en commun » ; un objectif qui implique une lutte à mort contre les classes au pouvoir, les classes des possédants, donneuses de leçons, sûres d’elles-mêmes et dominatrices. Finalement, seules la foi et la vocation au service du bien commun viennent compenser un travail vain et vide de sens.
Des concepts fondamentaux que nos maîtres se garderont bien d’évoquer...